CHAPITRE 1 Artefactions.

 

Cela lui avait brûlé le ventre pendant presque un an avant de lui déchirer l’utérus en quelques secondes. Cela s’était même nourri d’elle comme une douve goulue, les nuits, alors que ça la déformait, les jours, d’une tumeur ballonnée parfaitement disgracieuse. Cela avait été un abcès résolument sphérique qui n’en finissait pas de se gonfler, juste sous l’estomac et jusqu’à tomber parfois comme une poche trop pleine sur son pubis, et de se dégonfler au rythme d’un poumon cryogénisé n’expirant qu’au milieu de son sommeil. Cela lui avait fait mal à n’en plus tenir debout, à ne pas pouvoir s’allonger, à vomir.

Cela avait été plus odieux qu’exceptionnel, quoi que quiconque en pensât, et jusqu’à son terme.

Pourtant, ce n’était qu’une toute petite perle d’un gel noir qui tenait dans la main et pesait à peine sa livre. Si elle avait été mystique, Érythrée en eût pleuré de bonheur. Elle préféra confier son humeur à une dérision plus ironique.

— Je comprends très bien que cette « bille d’encre » fait de moi une artefactrice mûre et responsable, Maman. Je comprends même très bien qu’il me faille la soumettre à la sagacité des amis qui m’ont assistée bras croisés dans la douleur de sa conception. Mais je ne vois pas pourquoi je devrais m’afficher avec cet œil ridicule et aveugle sur toutes les places de Lapis Lazuli.

Maman était d’une patience infinie, surtout avec sa fille, surtout quand celle-ci l’appelait Maman, ce qu’elle détestait plus encore que tous les noms d’oiseaux dont on l’avait affublée durant sa longue carrière d’artefactrice très originale. Parce que originale elle l’était ! Et comme Érythrée : depuis sa première création. À vingt ans, quand tous ses amis attendaient encore les prémices de l’ectomorphose, guettant une palpitation sous la peau, un renflement sur une épaule ou un flanc, un kyste dans leurs entrailles, elle, Tachine, dormait sur le ventre en écoutant son dos se lézarder d’écailles qui polluaient son lit de résidus transparents et ses nuits de milliers de démangeaisons. Oh ! elle n’avait pas eu à peler longtemps ! À bout de squames, le film exoderme s’était détaché d’un bloc et l’artefact avait abandonné son dos comme un vampire relâche sa proie nourricière. Alors tous ces amis, qui avaient envié sa précocité plus de dix mois, avaient masqué leurs railleries derrière une perplexité faussement admirative. N’empêche qu’on l’avait appelée Psyché.

Érythrée avait enflé d’une ectomorphose déguisée en grossesse bovine pour accoucher d’une toute petite boule noire. Tachine, jadis, avait engagé ses proches à lui caresser le dos pour vérifier l’authenticité de sa mutation et généré un « miroir mou » de trente centimètres carrés, suffisamment épais pour donner l’impression de maigrir d’un tiers de son poids quand il fut tombé.

À quoi pouvait bien servir un miroir souple et déformable incapable de fixer une image ? À qui offrir un reflet irréel perpétuellement mouvant ? Comment reconnaître l’esprit apte à se regarder dans un tain mensonger ?

Comparativement, les questions générées par le miroir mou avaient été plus insolubles que le malaise occasionné par la bille d’Érythrée, pourtant Tachine savait ce que l’unicité d’un phénomène avait de déstabilisant en fin d’adolescence. C’était une chose que d’être unique, c’en était une autre de devoir assumer seul ses particularités.

— Nous parlons toujours de la même chose, Érythrée. Les premières œuvres sont souvent douloureuses, mais pas à ce point. Elles croissent et émergent d’une façon imprévisible, mais pas à ce point. Elles sont parfois excentriques, mais pas à ce point. Elles ne sont pas toujours aisément attribuables, mais…

— Maman !

Tachine sourit. Elle quitta l’appui dont son dos se délectait contre le mur de chair tiède et avança dans le salon, les pieds nus noyés dans la fourrure que l’AnimalVille laissait croître sur le plancher de l’appartement.

— Ma fille ?

Assise sur une fenêtre en encorbellement au-dessus de la Grande Agora, l’arrondi du dos et le bout des doigts de pied contre le chambranle de cartilage, avec une culotte pour toute protection contre l’hiver finissant, Érythrée se tenait les genoux à deux mains, la tête appuyée sur eux et tournée vers sa mère. Elle avait mis toute l’indignation souhaitable dans son interruption, mais elle n’était pas indignée, elle jouait seulement à l’être. Elle était en colère contre son héritage génétique – parce qu’elle avait conscience d’être différente par hérédité –, pas contre l’affection et les redondances maternelles. Elle avait conscience aussi que son comportement était anormal, qu’aucun artefacteur, aucune artefactrice ne réagissait à sa création avec ce détachement irrité.

— Tu te répètes, reprocha-t-elle fermement. Je ne descendrai ni sur la Grande Agora, ni ailleurs, du moins pas en exhibant ma « balle de suie ». Je ne veux profiter de l’expérience de personne, car personne n’a vécu d’expérience se rapprochant de ma situation, et je n’entendrai plus les conseils débiles de vieux artefacteurs n’ayant jamais produit que de belles perles de nacre bien blanche ou de petits sympathes à poil chaud.

— Il faudra pourtant bien l’offrir, ta « balle de suie ».

Érythrée se redressa d’un coup de reins pour caresser le cartilage du chambranle avec ses cheveux blonds. Sous ses fesses, le rebord de la fenêtre hésita une seconde avant de décider qu’elle ne risquait pas de basculer du mauvais côté, néanmoins l’AnimalVille en corrigea légèrement l’assiette pour éviter toute glissade : Lapis Lazuli soignait ses locataires comme une chatte veille sur ses chatons. La jeune fille ne s’aperçut pas de la correction, elle attrapa la bille noire sur son ventre et la présenta, paume tendue, au regard de Tachine.

— Nous savons donc que c’est noir, dit-elle sur un ton de conférencière désabusée, que c’est sphérique à faire rougir pi de honte, un peu moins dense que le plomb…

Elle serra deux fois la bille.

— … solide mais très légèrement élastique…

Sous la fenêtre, il y avait un tabouret. Érythrée lâcha la bille dessus. Celle-ci se déforma au contact du bois, s’affaissant plus qu’elle ne s’écrasa, et reprit doucement sa forme, mais elle ne rebondit pas du moindre millimètre.

— … et que ça se comporte comme un gel à mémoire.

— En outre, enchaîna Tachine en se rapprochant de sa fille, ce n’est ni froid ni chaud, insécable et cela n’émet aucun rayonnement. Tu peux ressasser ça tant que tu veux, ma chérie, l’intérêt de ton artefact ne réside certainement pas dans ses propriétés physiques, aussi distrayantes soient-elles.

Parvenue au tabouret, elle se baissa, ramassa la bille, la fit tourner dans ses doigts sans l’examiner vraiment et se redressa.

— Je t’ai déjà parlé de mon « miroir mou » ? demanda-t-elle.

— Deux cents fois, soupira Érythrée.

— J’avais ton âge, ne se démonta pas Tachine, et à peu près ton caractère. Le miroir n’avait manifestement aucune valeur marchande et un intérêt esthétique très limité, je me suis braquée sur l’utilité qu’il pouvait présenter et je me suis torturé la cervelle à chercher qui en aurait l’usage…

— Mais tu te trompais d’usage parce que tu pensais à son pouvoir réfléchissant et à la personnalité capable de se mirer dedans sans attraper le mal de mer (Érythrée récitait.) Alors tu es allée trouver tout ce que Lapis Lazuli comptait d’esprits curieux et tu leur as soumis leur propre reflet, provoquant quelques strabismes passagers et autant de nausées. Finalement, en se plaçant de biais, quelqu’un a eu l’idée d’observer le bout de monde qui l’entourait et découvert que le miroir redessinait perpétuellement l’image qu’on lui présentait avec des valeurs fluctuantes, comme s’il les calculait chaque fois à partir de fonctions mathématiques différentes. (Le débit s’accéléra :) Valeurs, calcul, fonctions, tu as demandé à Lapis de te transduire vers un AnimalVille hébergeant des Connectés et tu as offert le miroir à un artiste en cours de réinsertion sociale, qui s’en est servi pour créer un pont privatif entre l’univers virtuel des Connectés et notre réalité consensuelle. (Le ton changea net :) Fin de l’épisode « miroir mou », la morale de cette histoire ne me concernant d’aucune façon.

Trois ans en arrière, Tachine se fût engagée dans une altercation musclée qu’Érythrée eût envenimée d’a priori définitifs et cinglants, mais l’une ne pouvait plus être tout à fait responsable de l’autre et l’autre n’était plus obstinément irresponsable. Colère rentrée sous un amusement possessif, la mère détailla les cinquante kilos de jeunesse ciselée qui la bravait et chercha la présence de l’embiote dans ce corps nubile. L’embiote était là, à fleur de peau, à fleur d’organes, elle le sentait comme elle sentait le sien, mais elle n’en percevait aucun symptôme.

C’eût été exagéré de dire qu’Érythrée était belle, mais elle était jolie et son charme s’accroissait du contrôle parfait qu’elle avait des manifestations extrinsèques de son embiote. Bien sûr, il fallait exclure cette expérience traumatisante de l’artefaction – tous les adolescents connaissaient une première ectomorphose fantasque –, néanmoins, Érythrée ne se laissait jamais déborder par l’embiote. Elle n’avait pas de renflement calcique sur le front, pas de plaque chitineuse sur certaines portions fragiles de l’épiderme, pas de vertèbre surnuméraire, aucun bulbe veineux, aucune excroissance articulaire. Simplement, chaque hiver, sa peau changeait légèrement de texture sous l’action du froid et elle préférait se couvrir d’un pelage velouté plutôt que passer des vêtements chauds.

Elle savait aussi modifier le galbe de ses seins, affiner sa taille, allonger ses jambes avec une précision irrésistible, comme elle savait se vieillir d’une peau plus sèche, de ridules discrètes et de traits à peine plus marqués, mais le jeu de séduction et celui de mûrissement ne l’amusaient plus. Pas en présence de sa mère, en tout cas. De même qu’elle ne jouait plus à se laisser pousser les oreilles vers le haut, en pointe, pour ressembler aux elfes de ses contes d’enfant, ou à s’ouvrir un troisième œil, au milieu du front, dont elle prétendait qu’il lui permettait de voir les émotions d’autrui.

Érythrée n’avait jamais eu le goût des déformations grandioses, à part cette lubie, dans sa quinzième année, lorsque, à maintes reprises, elle avait tenté de faire croître des ailes entre ses omoplates. Elle voulait être une fée et voler au-dessus de Lapis Lazuli. Elle n’avait obtenu que les ébauches osseuses de moignons d’ailes, qu’elle avait empennées d’une membrane si fine qu’elle se déchirait au moindre mouvement. Puis elle avait abandonné du jour au lendemain, se réfugiant derrière la réalité d’un rapport poids/puissance/voilure qui interdisait le vol de ses propres ailes. Ce renoncement avait été le signal d’une maturation accélérée, jusqu’à cette maturité qu’elle possédait enfin et que, d’une certaine façon, l’artefaction avait entérinée.

Avec fierté, Tachine se répéta (cette satisfaction revenait souvent) qu’Érythrée tenait d’elles elle découvrirait toujours avec stupeur ou stupéfaction les artefacts qui naîtraient de sa symbiose, mais elle n’en éprouverait qu’une gêne passagère. Comme elle n’avait manifesté qu’un désagrément léger quand, dix-huit jours après sa naissance. Lapis Lazuli lui avait appliqué l’embiote qu’il lui destinait sur la nuque. L’ectoparasite avait alors la taille d’un baiser et la transparence d’une méduse. Il avait embrassé les cervicales de l’enfant de six doigts gélatineux comme une étoile de mer épouse un rocher, puis les doigts avaient grandi, se faisant tentacules. En deux ans, l’un d’entre eux avait remonté la nuque, insinuant des radicelles dans le bulbe rachidien, un autre avait descendu la colonne vertébrale, se fondant dans l’épiderme, se glissant entre les disques pour se mêler à la moelle. Deux branches étaient passées par-dessus les épaules, s’incrustant dans la chair jusqu’à se perdre dans les alvéoles pulmonaires et pénétrer les ventricules cardiaques, s’abreuvant du sang qu’ils filtraient et les irriguant de ses propres fluides. Les deux dernières branches avaient descendu les côtes pour s’infiltrer sous elles en centaines de fibrilles qui s’étaient disséminées dans le foie, l’estomac, le pancréas, les reins et les organes génitaux.

Pendant les six premières années de leur symbiose, l’ectoparasite grandissait plus vite que son hôte, le temps de le recouvrir totalement et d’atteindre chacun de ses organes, puis il se faisait endoparasite, imprégnant l’épiderme jusqu’à disparaître en lui, digérant le réseau nerveux, suppléant/associant toutes les fonctions organiques avec son système embiotique. Vers dix ans, la symbiose était achevée, il ne restait plus qu’un artefacteur au sommet de l’enfance découvrant le jouet formidable qu’était son organisme. Et les enfants jouaient, retardant leur puberté autant que le jeu le permettait, gagnant un an, deux ans sur une adolescence irrémédiable. Mais pas Érythrée. Érythrée avait été pressée de mûrir, persuadée qu’elle devait le faire pour ne pas vieillir trop vite. Tachine n’avait pas toujours aimé affronter ses contradictions, mais elle avait aimé la voir se battre pour les maîtriser.

— Excuse-moi, Tadj, dit la jeune fille en se laissant couler de la fenêtre. Je suis un peu nerveuse et j’ai déjà pris une décision que tu n’aimeras pas.

Elle avait employé à dessein le diminutif « Tadj », pour s’excuser vraiment de ce qu’elle avait dit et de ce qu’il lui restait à annoncer.

— Quelle décision ? releva Tachine (il n’y avait aucune inquiétude dans sa voix).

Érythrée s’écarta d’elle, la frôlant, et foula les longs poils soyeux dont Lapis Lazuli adoucissait le sol de la pièce. Au passage, elle enfila un chemisier, qui traînait sur un fauteuil, et ramassa un pantalon pour le passer sans cesser de marcher. Elle ne se retourna que lorsqu’elle en eut bouclé la ceinture, à l’entrée de la cuisine.

— Je ne vais pas chercher à qui je vais offrir la bille, j’attendrai de tomber sur quelqu’un qui me donne envie de le faire.

— De faire quoi ? De l’offrir ou de t’en débarrasser ?

La question était posée pour le principe. Érythrée l’ignora d’un haussement d’épaules et pénétra dans la cuisine. Tachine la suivit immédiatement.

— Excuse-moi, lâcha-t-elle à son tour. Je sais que ce n’est pas ton genre.

Érythrée avait tiré deux verres d’un placard, elle étudia le synthétiseur de boissons d’un œil vague et programma un cocktail au hasard après avoir niché les verres sous les becs verseurs.

— Ce n’est pas une question de genre, Tadj. Nous sommes condamnés à offrir, c’est une fonction biologique, mais le faire avec discernement est un art et, quoi qu’en pense l’intelligentsia, nous ne sommes pas tous des artistes et nous ne voulons pas tous l’être.

Tachine préféra perdre son regard dans la contemplation du liquide orangé qui tombait goutte à goutte dans les verres. Il tombait goutte à goutte depuis des mois, parce qu’elles étaient toutes deux négligentes et que les techniciens étaient rares en Lapis Lazuli. Tachine n’aimait pas cette vieille discussion. Il lui semblait que la tolérance de sa fille stigmatisait la décadence qui frappait l’artefaction. Érythrée prétendait que l’éthique changeait, parce qu’elle n’avait plus de raison d’être, parce que le don était un privilège et qu’ils étaient de plus en plus nombreux à se partager de moins en moins de privilèges.

Cela avait commencé à la génération précédant celle de Tachine. Quelques-uns avaient abandonné la notion de quête, ne se souciant plus de comprendre, de chercher et d’affiner. Ils n’offraient plus, ils donnaient, puis ils avaient refilé, n’importe où, n’importe quand, à presque n’importe qui. En cinquante ans, la prétendue affinité des artefacts pour une seule personne s’était étendue à une probabilité de dix, de cent, voire d’un groupe social entier, jusqu’à n’avoir plus aucun sens. Aujourd’hui, il était possible d’entendre :

« C’est une belle perle, elle ira très bien à l’oreille d’une rousse, à moins que je ne l’offre à un rouquin… elle est un peu lourde pour une femme. »

Heureusement, ce n’était pas une attitude générale, mais c’était déjà une banalité et certains avaient perverti l’offrande de définitions tellement vastes qu’ils en étaient venus à troquer, à marchander, à vendre. Il existait même des ersatz d’artefacteurs qui s’échangeaient entre eux leurs œuvres, si tant était qu’on pût encore parler d’œuvres tellement, avec la profusion et l’absence de discernement, leurs créations étaient devenues quelconques, approximatives et insanes.

Érythrée se trompait : ils n’étaient pas condamnés à offrir, seulement à se déposséder pour empêcher l’embiote de s’approprier leur corps et dissoudre leur personnalité dans la sienne. C’était le prix de la symbiose. L’embiote optimisait les fonctions vitales, l’embiote prolongeait la vie et la jeunesse et il permettait la transduction sans contrainte… mieux : l’embiote était l’organe de la transduction.

Au début du millénaire précédent, l’AnimalVille Aigue-Marine avait surgi du fond de la Méditerranée asséchée. Grâce à lui, l’humanité avait dompté l’échange, le transfert instantané entre deux AnimauxVilles. Cela lui offrait d’autres mondes tout neufs pour exporter ses modèles exsangues de société. Et l’humanité avait abusé de l’échange pour la seule gloire de ses élites, pour la seule magnification de leurs guerres intimes, pour s’inventer de petites poches de paradis inaccessibles au cœur de ses enfers planétaires et quotidiens. Il y avait eu vingt-sept Villes domestiquées, il en surgit tout à coup des milliers, sauvages et indomptables, qui avaient mis l’échange à portée de chacun, mais en conservant seules son exploitation. Personne n’octroyait de droit à l’échange, sinon les AnimauxVilles.

Durant une courte période, des millions d’hommes et de femmes s’étaient adonnés au nomadisme, sautant d’un monde accessible à l’autre avant de se regrouper par blocs d’affinités et de se recréer des existences grégaires dûment réglementées. Avant de se replier sur eux-mêmes et de prohiber la différence. Avant de s’affronter. Anticipant la Dispersion, les AnimauxVilles limitèrent l’échange de manière drastique.

Après la Dispersion, ils n’eurent plus besoin de limiter ce que personne ne recherchait plus. Parce que les Rameaux n’étaient plus accessibles entre eux, parce qu’ils étaient devenus ce qu’ils aspiraient et qu’ils n’aspiraient chacun qu’à leur cocon, l’échange était tombé en désuétude. Rares, en tout cas, étaient les Originels, les Mécanistes et les Connectés qui y avaient recours, et encore, pour la plupart, ne le faisaient-ils que contraints. Les Artefacteurs, eux, disposaient des embiotes et les embiotes leur offraient la transduction. Le libre-échange, en quelque sorte.

Oui, l’embiote n’en finissait pas d’être un plus majuscule quand on avait besoin de lui, mais il n’aspirait qu’à se passer de son hôte. Alors il produisait des ponts à effet tunnel sous la forme d’artefacts, de véritables pompes à énergie qui épuisaient l’ego de son hôte. Il lui fallait un an pour se dégager suffisamment de place, deux pour briser le contrôle du porteur, cinq pour être seul détenteur d’un corps humain.

Et il suffisait de renoncer à la propriété de l’artefact – d’y renoncer vraiment en la cédant à quelqu’un d’autre – pour stopper le processus, et tout reprendre de zéro quelques mois ou quelques années plus tard, quand un nouvel artefact était achevé. Tachine l’avait fait douze fois, d’autres plus de deux cents. Les inconscients, qui transformaient l’art en commerce ou en vaudeville, seraient contraints de le faire plus de mille… s’ils vivaient, car leur propre machine organique, qui libérait certaines substances inhibitrices sous l’action psychosomatique du don, était moins dupe qu’eux et que l’embiote apprenait à la court-circuiter.

Sur la seule place de Brumée, l’AnimalVille flottant sur l’océan sans terre d’Eïdonal, il y avait un musée de cristal. C’était la plus vaste agora de la galaxie, le plus grand musée humain. Il n’exposait aucune œuvre, juste des figurines, grandeur nature, d’artefacteurs qui s’étaient abandonnés à leurs embiotes et qu’on avait pétrifiés sous un film de carbonite. Les postures étaient horribles, les formes étaient informes, hérissées d’excroissances odieuses, torturées d’arabesques impossibles, inhumaines jusque dans la souffrance.

Une seconde fugace, Tachine regretta de n’avoir jamais emmené Érythrée voir le Musée de Brumée, puis elle écarta le musée de ses souvenirs, comme on oublie une terreur vécue, et elle attrapa le verre que tendait sa fille pour le porter directement à ses lèvres.

Sucré, glacé, fruité mais d’une saveur indéfinissable et légèrement amer, le cocktail était tel qu’elle l’eût composé.

— C’est très bon, commenta-t-elle pour n’avoir rien d’autre à dire.

Tachine restait debout, Érythrée s’installa sur la table et donna un coup d’œil vers la fenêtre. Dehors, la première nuit printanière se déposait sur Lapis Lazuli, une nuit sans lune, à l’heure la plus sombre de la journée, celle qui précédait la levée d’étoiles. La jeune fille connaissait six AnimauxVilles, deux qui partageaient le monde de Lapis Lazuli – son monde à elle, puisqu’elle y avait grandi – et trois de leurs semblables sur trois planètes de trois soleils de leur nuage. Ce n’était pas un vrai nuage, c’était une brume d’étoiles jeunes à la frange du cœur galactique, et ce n’était pas le leur : ils s’y étaient réfugiés, pareils à des enfants honteusement malades nichés dans les jupes de leurs mères AnimauxVilles, sous la protection de leurs pères AnimauxVilles. Ils, Leur, Eux : les Organiques – comme disaient les autres rameaux de l’humanité – les Artefacteurs à qui une poignée de cités vivantes avaient offert le nuage et des nuits plus éclairées qu’un crépuscule.

Le regard d’Érythrée abandonna la fenêtre.

— Il va y avoir une supernova, laissa-t-elle tomber.

Tachine tenait le verre vide d’une main, dans le creux de ses bras croisés sous ses seins. Elle hocha deux fois la tête en pinçant les lèvres.

— Je sais.

Lapis Lazuli l’en avait informée, sans lui dire qu’il avait mis Érythrée dans la confidence. Peu d’artefacteurs avaient déjà été prévenus : les plus mûrs, les plus solides, les moins creux. C’était un cadeau de l’AnimalVille à ceux qui offraient. Les autres l’apprendraient dans quelques jours. Mais pourquoi Érythrée ?

— Lapis me transduira, reprit la jeune fille. Je crois que ça l’amuse d’expédier ma « bille de suie » aux grandes retrouvailles de l’humanité.

Tachine se décroisa les bras, posa le verre sur le lave-vaisselle et alla s’asseoir à côté d’Érythrée, du moins s’appuya-t-elle les fesses contre la table. Elle tira la bille d’une poche de sa robe et la porta à hauteur de son visage pour l’examiner à nouveau et d’un œil complètement neuf.

— Si Lapis Lazuli t’a parlé de la supernova, c’était qu’il escomptait ta demande de transduction. Et s’il l’a fait à cause de ça… (Tachine mit la bille sous le nez d’Érythrée)… alors, ma fille, c’est que ça est encore plus drôle que tu ne le penses.

Érythrée lui reprit la bille, la lança au plafond et la rattrapa d’une main agile pour la faire disparaître dans son chemisier, contre son ventre. Elle modifia la structure de ses abdominaux, excava un peu son nombril en repliant l’ombilic vers l’intérieur et cala son artefact dans le creux ainsi dégagé.

— Ça ne t’embête pas si je préfère que ce soit moi qui l’intéresse, Maman ? Ou alors mes vingt ans, une certaine insolence et la furieuse envie de connaître une galaxie qui ne s’arrête pas à deux cents millions d’Organiques de plus en plus embêtés d’être deux cents millions ?

Tachine détestait encore plus le mot « Organique » que le mot « Maman ». C’était un mot qui reflétait toute la péjoration de l’image que les autres rameaux de l’humanité se faisaient d’eux, l’expression d’un dégoût sans rapport avec la noblesse du substantif « artefacteur ». Pourtant, elle ne le releva pas, préférant relancer Érythrée sur ce qui la perturbait, elle.

— Pourquoi serions-nous gênés d’être deux cents millions ?

— Parce que nous sommes finalement peu nombreux et déjà trop pour continuer à nous assumer. Parce que nous nous diluerions jusqu’à nous perdre en nous mêlant aux autres rameaux et que nous étouffons jusqu’à nous marcher dessus dans nos Villes. Parce que nous ne savons plus à qui offrir quoi et que personne ne nous a jamais rien donné. Parce que nous voyageons presque tous un petit peu et que nous ne laissons personne nous approcher. Parce que, Maman Tachine, tu es une artefactrice très fière de toi et de ta société, et que tu accuses ta génération d’avoir poussé la mienne à la décadence et au suicide. Et parce que cette contradiction ne m’amuse pas.

Avec la force de l’habitude et le regard bienveillant que cette jeunesse-ci lui inspirait. Maman Tachine encaissa la vexation personnelle sans avoir à se violenter. Pourtant, Tachine était une voix que plusieurs générations d’artefacteurs entendaient parce qu’elle savait écouter, mieux que personne, les voix qui dissonaient, et Érythrée avait commis une dissonance terrible.

— En nous mêlant aux autres rameaux ? répéta lentement la mère.

— C’est à ça que servent les Retrouvailles organisées par les AnimauxVilles autour des supernovæ, n’est-ce pas ? répliqua la fille. À confronter les rameaux. Eh bien, je vais me confronter…

Un instant, Tachine fut soulagée, un court instant.

— … pour voir si nous ne pouvons pas tous le faire de manière plus définitive.

— Ryth !

C’était une indignation du cœur, profonde, violente, une de ses rares bouffées d’asphyxie qui crachait le diminutif honni d’Érythrée sans se soucier du « Ne fais pas ce que tu n’aimes pas qu’on te fasse ». Celle-ci y réagit de manière prévisible, en sautant de la table et en s’emportant, plantée devant sa mère.

— Quoi : Ryth ? Qu’est-ce que j’ai dit de si odieux ? Certainement pas que nous devrions faire un peu plus de cadeaux aux autres, parce que, côté cadeaux, tu serais plutôt d’un altruisme débordant ! C’est l’idée d’habiter un AnimalVille qui aurait un Réseau pour les Connectés et un Passeur des Morts pour les Originels qui te gêne ? Ou bien celle de devoir croiser des armures de Mécanistes dans ta rue ? Il faut que tu m’expliques, Maman, parce que, pour l’instant, je ne connais que nos AnimauxVilles, je ne fréquente que des artefacteurs ou des boutonneux en passe de le devenir, je ne suis révoltée que contre nos suffisances imbéciles, je ne vomis que sur nos déjections. Vas-y, sois franche… Si ailleurs c’est pire, raconte, que je puisse me réjouir avec toi de notre « pire en pire » intime !

Les mains sur les cuisses, les yeux grands ouverts et les oreilles réceptives au contenu, Tachine attendit qu’Érythrée eut déversé son acrimonie.

— Excuse-moi, dit-elle pour la seconde fois de la soirée quand sa fille se tut.

— De quoi ? faillit redémarrer Érythrée.

— De t’avoir appelée Ryth.

Pour éviter un nouveau débordement de bile, Tachine plaça la main sur la bouche de sa fille et ne la retira qu’après avoir aperçu une lueur d’amusement dans son regard.

— Tu grimpes trop vite en pression, ma fille, et je suis certainement trop pleine de préjugés.

— Un point partout ?

— Si tu veux. (Tachine prit une longue inspiration et se lança :) Toujours est-il que l’idée de mélanger les rameaux… car c’est bien de cela dont tu parles, n’est-ce pas ? (Elle n’avait pas besoin de confirmation…) cette idée-là me choque autant que me choquent les guerres auxquelles les AnimauxVilles ont mis fin en dispersant ces mêmes rameaux dans la galaxie.

Érythrée leva une main, Tachine s’arrêta.

— C’était il y a sept cents ans, Tadj, et il ne s’agissait pas de rameaux, ni de guerres, mais de racisme, de conflits politiques, d’attentats et d’escarmouches paramilitaires occasionnés par des divergences philosophiques, sociologiques et biologiques entre ethnies. Quant aux AnimauxVilles, ils n’ont fait que…

À son tour, Tachine stoppa sa fille d’une main levée.

— J’ai suivi les mêmes études que toi, tu sais ? Alors d’accord : les rameaux sont nés de la dispersion qui nous a évité l’holocauste, mais le fossé entre eux n’a fait que s’élargir et…

Main levée.

— Nous sommes suffisamment étrangers pour nous côtoyer.

Main levée.

— Mais nous nous côtoyons !

Main levée.

— Ce n’est pas vrai, Tadj. À titre individuel, nous transduisons parfois vers un AnimalVille d’un autre rameau pour offrir un artefact à un de ses habitants, comme les Mécanistes voyagent un peu pour accomplir leurs exploits, ou les Connectés pour recueillir des informations, ou les Originels pour coloniser un autre monde. Mais nous n’avons aucun échange économique, aucun contact culturel, aucun dialogue, ne serait-ce que de bon voisinage. Nous nous ignorons, sauf lorsque les AnimauxVilles rassemblent quelques représentants de chaque rameau autour d’une supernova, pour que nous puissions nous éblouir réciproquement de nos grandeurs magnifiques, grandeurs auxquelles nous ne comprenons respectivement rien.

Main levée.

— Je propose que nous cessions de lever la main pour nous interrompre.

— Motion adoptée.

— Continue.

— J’ai terminé.

Il ne s’agissait pas d’une sanction, néanmoins il y avait quelque chose de définitif dans le ton d’Érythrée. Tachine désigna l’arche osseuse s’ouvrant sur le salon, laissa sa fille passer devant elle et la suivit jusqu’au sofa faisant face au pouf sur lequel la jeune fille s’installa en tailleur. Tachine hésita pour finalement s’asseoir dans les poils écrus du sol, le dos à peine appuyé contre le sofa. À l’extérieur, la nuit était complètement tombée sur Lapis Lazuli et la lueur des nuées d’étoiles se confondait avec le clair-obscur des veines halogènes de l’AnimalVille. Dedans, seuls les cristallins masquant les angles entre les murs et le plafond diffusaient leur lumière tiède et blafarde. Douillet et mélancolique, Lapis Lazuli baignait ses artefacteurs de son renoncement.

Parce que Lapis Lazuli avait renoncé aux Retrouvailles, pour la seconde fois depuis la Dispersion, pour n’avoir pas à chasser ses ouailles vers les plaines, les forêts et les collines d’une planète dont elles ne connaissaient, pour la plupart, que quelques kilomètres autour du vide que son absence laisserait, ou pour n’avoir pas à les expulser, même momentanément, vers un de ses semblables qui ne lui ressemblerait pas. À moins que, une fois pour toutes, Lapis Lazuli n’eût décidé de remplacer l’amour par des satisfactions plus maternelles.

L’AnimalVille ne verrait pas la supernova, Érythrée si. Tachine se composa un regard d’adulte et le braqua sur sa fille.

— Quoi que nous enseignent les casques hypnopédiques, attaqua-t-elle, nous ne sommes pas armés pour affronter la réalité des autres rameaux… et c’est à dessein que j’use d’un vocabulaire belliciste. Les Originels, par exemple, ne sont pas de gentils mystiques qui cultivent la mémoire des morts, prennent conseil auprès de hologrammes pluriséculaires et sont dirigés par une oligarchie familiale veillant à l’étiquette et au bon déroulement de dizaines de fêtes religieuses. Les fêtes sont tristes ou morbides, le Charon est un dictateur pour sa famille et un tyran pour les autres, les hologrammes ont le droit de vote, la mystique est cousue de dogmes et la seule chose qu’elle cultive est la réaction. C’est une société médiévale qui lutte de toutes ses forces pour le rester et condamne l’innovation à des bûchers neuropsychiques. Pour eux, rire est plus répugnant que vomir et faire rire plus choquant que violer. Jamais tu ne verras d’enfants dans leurs rues, les enfants sont désincarnés très tôt et élevés à l’état d’Astraux pour que leurs corps ne se souillent pas de contacts charnels. Quand tu arrives chez eux, on t’attribue un hologramme, une personæ mentor qui ne te lâche pas d’un pouce et veille à ce que tu ne commettes aucun impair. À l’exception du Charon et de quelques notables, nul ne s’adresse directement à toi ou ne t’entend, leurs paroles et les tiennes doivent impérativement passer par la personæ censeur, pour une traduction fidèle à pleurer de rage. Voilà les Originels, ma chérie ! J’ai été transduite deux fois sur Terre, une fois sur Cerbère, tu veux que j’entre dans les détails ou que je passe aux Mécanistes ? J’en ai rencontré pas mal, tu sais, et j’ai séjourné trois mois sur Titlan.

— Je sais, Tadj, je sais : les Mécanistes sont un doux mélange de thugs, de samouraïs et de nemrods paranoïaques. Tu me diras qu’ils nous haïssent et qu’ils dressent leurs armures à nous éliminer, mais tu omettras de parler de leurs percées scientifiques et de leur tout nouveau vaisseau quantique qui vaut n’importe quelle transduction et, surtout, qui annule les douloureux bienfaits de la Dispersion. Je n’ai pas davantage envie d’écouter le couplet sur le collectivisme informatique des Connectés. Je rencontrerai toutes ces peuplades barbares autour de la supernova et, si je ne suis pas dégoûtée, j’irai voir chez eux à quel point ils sont inhumains et dégénérés. La pratique, comme tu es en train d’essayer de me le démontrer, chère mère, complète efficacement la théorie.

Sans que rien l’annonçât, Érythrée partit d’un grand rire cristallin, sincère, mais qu’elle cassa net.

— T’es-tu déjà demandé, s’expliqua-t-elle, ce qu’un… Originel, par exemple, pense des infâmes Organiques qui, quelques heures après la naissance, collent un parasite sur la nuque de leur progéniture pour que celui-ci les investisse et digère leur réseau nerveux. Et imagine les terreurs d’un Connecté quand il songe à notre individualisme !

Tachine sourit d’une pommette, d’un sourire à la fois jaune et noir. Il ne lui paraissait pas évident que sa fille fût plus cynique que candide et enthousiaste. Elle venait de porter à maturité une de ces idées qui germent pendant toute l’adolescence se nourrissent d’une force aussi bouillonnante que fictive et deviennent subitement des buts et des choix de vie. Au mieux, noyée de distractions ô combien plus satisfaisantes et matérielles, elle l’oublierait doucement, comme le font les adultes. Au pire, elle encaisserait quelques claques avant de passer sous le rouleau compresseur des faiseurs d’impasses. Pourtant, réalisme ou pas, Érythrée était sa fille.

— C’est bien que Lapis Lazuli te transduise pour les Retrouvailles, exprima-t-elle finalement. Tu n’y trouveras certainement pas ce que tu cherches, mais cela t’éclairera sur tes propres idées.

— Et puis tu ne seras pas très loin, c’est ça ?

— Non.

Érythrée tiqua.

— Comment ça : non ? Lapis ne t’a pas dit ? Il te transduit aussi.

Tachine croisa les jambes et se releva d’un seul dépliement.

— J’aurais aimé y participer, mais cela tu dois le vivre seule.

— Il y aura des dizaines de… de représentants des différents rameaux, dont je ne sais combien d’entre nous, alors la solitude !

La jeune fille attendait une relance qui ne vint pas.

— D’ailleurs ça ne me gêne pas que tu sois là, reprit-elle, ça me fait même plutôt plaisir. Et tu ne vas pas te priver d’une chance que des millions de gens n’ont pas et que des milliards n’ont jamais eue !

— J’ai déjà profité de chances que tous ces gens n’auront jamais, Érythrée. J’ai séjourné dans chaque rameau et, si j’ai aimé voyager, découvrir, apprendre et surtout offrir, je n’ai pas aimé ce que j’ai vu. De plus, la supernova ne m’évoque que la mort. Je me passerai donc très bien d’être transpercée par une quantité impossible de neutrinos en regardant s’effondrer un système binaire.

Érythrée le savait : la décision était définitive. Elle s’efforça vainement de masquer sa déception et trouva sans mal de quoi les occuper toutes les deux pour distraire leur malaise : l’éternel problème du dîner, un problème de choix en quelque sorte, de lassitude et de paresse.

 

Etoiles Mourantes
titlepage.xhtml
Ayerdhal-Dunyach-Etoiles mourantes(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_000.html
Ayerdhal-Dunyach-Etoiles mourantes(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_001.html
Ayerdhal-Dunyach-Etoiles mourantes(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_002.html
Ayerdhal-Dunyach-Etoiles mourantes(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_003.html
Ayerdhal-Dunyach-Etoiles mourantes(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_004.html
Ayerdhal-Dunyach-Etoiles mourantes(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_005.html
Ayerdhal-Dunyach-Etoiles mourantes(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_006.html
Ayerdhal-Dunyach-Etoiles mourantes(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_007.html
Ayerdhal-Dunyach-Etoiles mourantes(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_008.html
Ayerdhal-Dunyach-Etoiles mourantes(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_009.html
Ayerdhal-Dunyach-Etoiles mourantes(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_010.html
Ayerdhal-Dunyach-Etoiles mourantes(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_011.html
Ayerdhal-Dunyach-Etoiles mourantes(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_012.html
Ayerdhal-Dunyach-Etoiles mourantes(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_013.html
Ayerdhal-Dunyach-Etoiles mourantes(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_014.html
Ayerdhal-Dunyach-Etoiles mourantes(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_015.html
Ayerdhal-Dunyach-Etoiles mourantes(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_016.html
Ayerdhal-Dunyach-Etoiles mourantes(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_017.html
Ayerdhal-Dunyach-Etoiles mourantes(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_018.html
Ayerdhal-Dunyach-Etoiles mourantes(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_019.html
Ayerdhal-Dunyach-Etoiles mourantes(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_020.html
Ayerdhal-Dunyach-Etoiles mourantes(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_021.html
Ayerdhal-Dunyach-Etoiles mourantes(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_022.html
Ayerdhal-Dunyach-Etoiles mourantes(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_023.html
Ayerdhal-Dunyach-Etoiles mourantes(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_024.html
Ayerdhal-Dunyach-Etoiles mourantes(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_025.html
Ayerdhal-Dunyach-Etoiles mourantes(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_026.html
Ayerdhal-Dunyach-Etoiles mourantes(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_027.html
Ayerdhal-Dunyach-Etoiles mourantes(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_028.html
Ayerdhal-Dunyach-Etoiles mourantes(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_029.html
Ayerdhal-Dunyach-Etoiles mourantes(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_030.html
Ayerdhal-Dunyach-Etoiles mourantes(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_031.html
Ayerdhal-Dunyach-Etoiles mourantes(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_032.html
Ayerdhal-Dunyach-Etoiles mourantes(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_033.html
Ayerdhal-Dunyach-Etoiles mourantes(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_034.html
Ayerdhal-Dunyach-Etoiles mourantes(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_035.html
Ayerdhal-Dunyach-Etoiles mourantes(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_036.html